Février 2139, arrivée sur le Taurus

Cher journal,

J’ai peur.
Je suis perdue. Perdue dans le néant de l’espace, dans un vaisseau spatial, coincée ici pour le restant de ma vie avec des milliers d’inconnus. J’ai besoin de résumer la situation. De tout reprendre depuis le début. D’écrire pour me prouver que cet enfer que je vis à cet instant, n’est qu’un rêve. Que je vais me réveiller d’ici quelques heures et que tout sera devenu normal.
Mais rien de tout cela n’arrivera jamais. Je le sais.

Je suis née au mois de juin 2110, dans une petite maison familiale en Géorgie, aux Etats-Unis. Une année bien sombre me direz-vous, puisque le conflit entre l’Israël et la Palestine a débuté cette année-là. La Terre n’allait déjà plus très bien à ma naissance, mais ce n’était rien comparé à ce qui l’attendait : la fin de l’humanité.
Fille unique, j’ai grandi avec des parents aimant qui m’ont tout appris de la vie. Je suis allée à l’école, où j’ai toujours été une des meilleures élèves, surtout dans les langues et la littérature. J’ai poursuivi mes études de lettres pour devenir journaliste.
Ensuite, tout ira très vite. Je regrette maintenant. J’aurais dû attendre, j’étais au mauvais endroit au mauvais moment. J’ai vécu les 5 années les plus belles de toute ma vie. Et puis tout va tourner au cauchemar.
L’année de mes vingt ans, je termine mes études et je rencontre un jeune homme formidable au doux prénom de Nathaniel. J’en tombe amoureuse, son charme m’a affectionné et dès le premier regard, j’ai ancré son sourire dans mon esprit pour ne jamais l’oublier. Coup de foudre ? Je suis peut-être superficielle, mais j’aime bien croire en ce genre de trucs. Une nouvelle guerre mondiale était en train de débuter, mais on s’aimait. Et cela était notre plus grande force.
Pas de mariage en vue, jusqu’au début 2133 où un petit être naquit dans mon ventre. Une si petite chose remit tout en question, avec d’abord un doute : faut-il le garder ? Le monde va mal, on ne sait pas comment les choses vont tourner.
Mais avec tout le bonheur qu’il nous procurait, nous avons pris la décision de le garder. Une main sur mon ventre et l’autre tenant celle de Nate, nous étions devant la télé, en regardant les images de la première d’une longue série de pluie de météorites au Brésil. Je me suis tournée vers lui, mes yeux remplis de doute. Il m’a serrée contre lui en me promettant que tout ira bien. Et il m’a souri.
S’il savait…
Un mois plus tard, 24 août 2133, Nathaniel devient mon mari. Nous avions fait une fête qui rassemblait nos deux familles, nos amis. C’est un merveilleux souvenir.
Et en décembre, ce fut l’arrivée de notre petit bonheur, Gabriel. Un petit garçon plein de vie qui n’attendait que de découvrir le monde, même si son état s’aggravait de jour en jour…
Tout allait bien dans notre petite vie. Gabriel grandissait, tout allait bien à mon travail. Etant journaliste, j’avais des jours bien remplis et pas beaucoup de temps pour moi, malheureusement. Mais j’adorais faire ça, partir à la rencontre des gens, constater, interviewer, rédiger mes articles. J’étais au courant de toutes les nouvelles du monde. Un monde qui se dégradait.

C’est en 2134 que le cauchemar débuta réellement. Les pluies de météorites avaient recommencé d’attaquer la surface de la Terre. Et après plusieurs cas, un bruit courait dans l’imprimerie. Certaines personnes se trouvant non loin des lieux frappés par les météorites semblaient réagir étrangement. Rien de très alarmant, mais plusieurs cas étaient à déclarer déjà.
Et c’est quelques mois après l’attaque en Europe du Nord en avril 2135 que j’ai été désignée pour récupérer des informations au sujet de cet étrange phénomène en Suède. Nathaniel m’avait mise en garde : ce n’est pas une bonne idée de partir maintenant, on ne sait pas ce que demain nous réserve, autant rester tous les trois. Il m’avait dit ça le regard plein de sous-entendus, en jetant un regard en coin à Gabriel qui dormait dans ses bras. « Ce n’est que quelques jours » lui avais-je répondu.
Erreur.
Je me suis envolée en fin-juillet 2135 pour la Suède. En août suivant, des météorites s’abattaient sur ma maison.

Je m’arrête d’écrire. Ma main tremble, les larmes perlent dans les coins de mes yeux. Je n’arrive pas à les retenir. Les sillons dévalent mes joues une à une, jusqu’à s’écraser sur mon cahier où certains mots deviennent illisibles.
J’attends le lendemain avant de poursuivre mon récit, en prenant soin d’éviter le moment où je rentre en Géorgie et que personne ne m'attend à l'aéroport. La descente aux enfers peut commencer.

Une longue vie laborieuse commença à cet instant. Avec pour seule occupation mon travail et mes études sur les Changés pour m’empêcher de pleurer jour et nuit.
A l’annonce de l’impact final, j’ai retiré tout mon argent de la banque. Absolument tout, et j’ai couru me trouver un billet. C’était ma dernière chance de survie. J’ai obtenu mon billet.

Désormais, je suis une Argonaute et je vis seule dans une grande villa du Taurus. Je travaille en tant qu’archiviste, le métier qui me rattache au monde que j’aimais tant. Ma vie sur Terre est terminée. Mais celle dans l’espace ne fait que commencer. Mais je n’ai pas confiance. J’ai peur. Combien de temps l’humanité va-t-elle encore durer avant de s’avouer vaincu pour de bon ? Après avoir détruit la Terre, allons-nous coloniser une nouvelle planète, pour la piller elle aussi ?
Tout reste à faire.