Pourquoi est-ce que j'avais accepté ? Je n'avais pas l'habitude de participer à ce genre de sorties. Parce que je n'avais jamais eu beaucoup d'amis et que je n'étais pas à l'aise dans ces lieux bruyants, au milieu d'une foule d'inconnus. Je paniquais et je perdais tous mes moyens. Mais Olivia avait insisté et je ne voulais pas qu'elle m'en veuille. C'était la seule à avoir accepté de travailler avec moi, malgré mon comportement inhabituel. Elle avait même la patience de gérer mes crises lorsqu'un élément extérieur venait me perturber, et que je sentais sur moi les regards réprobateurs de nos collègues. Ils devaient sans doute se demander pourquoi Icare avait accepté d’engager quelqu’un comme moi. C'était toujours la même histoire, on ne me croyait pas capable de réussir, parce que j’étais différent. Mais Olivia avait décidé de ne pas me juger, de me laisser ma chance et j’étais prêt à faire de mon mieux pour qu’elle n’ait jamais à le regretter. Alors comment refuser son invitation ? C’était bien la première fois que quelqu’un cherchait ma compagnie en dehors du travail et j’avais peur qu’elle réalise à quel point le monde extérieur m’était étranger et qu’elle ne me voit plus jamais de la même façon. Au moins, dans le laboratoire, je me sentais à ma place. La science était mon élément, je savais comment mener à bien le travail qu’elle me donnait et à aucun moment, je ne doutais de mes capacités. Mais dans la vie quotidienne, tout était différent. J’étais effrayé à l’idée de ne pas trouver ma place, de ne pas savoir quoi dire ou quoi faire. Toutes ces interactions sociales me mettaient affreusement mal à l’aise. A vrai dire, avant même de sortir de ma cabine, j’étais déjà en proie à un stress incontrôlable… J’étais tout bonnement incapable de me préparer. Comment est-ce que je devais m’habiller ? La tenue devait-elle être classique, mondaine ou décontractée. Et même si je l’avais su, j’aurais bien été incapable de savoir à quoi l’un de ces trois styles pouvait bien correspondre.
Les cheveux en bataille, la chemise débraillée et complètement dépareillée avec mon pantalon, j’étais en train de me battre avec ma ceinture, au bord de la crise de nerf, quand la sonnette retentit dans la pièce. La voix électronique m’annonça la présence d’Olivia derrière ma porte, alors que je n’étais absolument pas prêt… Il ne fallait pas qu’elle me voit comme ça, c’était un véritable désastre. Paniqué à l’idée de gâcher totalement ma relation avec ma supérieure, je me mis à faire les cent pas derrière la porte, sans trouver le courage de lui ouvrir. Sans doute était-elle en train de perdre patience parce qu’elle finit par se manifester. « Je sais que tu sais que je suis là. Je t’assure qu’on va s’amuser. Si ça ne te plaît vraiment pas, on part promis. » Stoppé net, je me tournai vers la porte, comme si j’avais pu la voir au travers. J’avais envie de croire en ses paroles et pourtant, j’avais peur de ne pas trouver le courage d’entrer dans le bar ou même d’y rester plus de cinq minutes. Pire encore, j’appréhendais à l’idée de faire une crise devant tous ces inconnus. Un véritable cauchemar. Mais j’avais accepté d’y aller et faire marche arrière maintenant était impossible… Olivia était là, devant ma porte et je ne pouvais décemment pas lui dire de partir.
Inquiet, je m’approchai afin de déverrouiller l’ouverture avant de l’actionner grâce à la commande vocale. « Désolé de t’avoir fait attendre… Je ne suis pas du tout prêt… » Nerveux, je regardai mes pieds, ou plutôt mes chaussettes puisque je n’avais pas encore mis mes chaussures, redoutant plus que tout le moment où j’allais essayer de faire mes lacets, en vain. « Je… je ne sais pas comment je dois m’habiller. Je ne sors pas d’habitude. » Craignant de passer pour le mec qui vit reclus dans sa cabine, je rectifiai immédiatement mes propos. « Enfin, pas dans un endroit aussi fréquenté… » Pour la simple et bonne raison que je ne me sentais pas à l’aise au sein d’une foule. Mais elle ne devait pas être vraiment surprise. Elle avait eu un aperçu de mes crises d’angoisse au travail et si elle trouvait que je perdais facilement pied lorsque ma routine était chamboulée, elle n’allait pas être déçue si je me retrouvais dans une interaction sociale complexe et effrayante. Que faudrait-il que je dise pour paraître normal ? Pour ne pas me sentir pris au piège dès les premiers mots échangés avec un inconnu ? Rien que d’y penser, je sentais déjà l’air me manquer…. Respirant profondément, je fermais un instant les yeux avant de me focaliser sur ma collègue. « Tu crois que tu pourrais… m’aider ? » Je devais avoir l’air d’un enfant égaré à cet instant précis, mais je ne parvenais pas à me comporter comme l’adulte responsable que je devais être. Du moins pas pour toutes ces choses que n’importe qui pouvait exécuter sans même y réfléchir. N’importe qui, excepté moi.