« Arrêtes, tu vas me faire tomber en arrière ! »

Kat, juchée sur les épaules d’Andrew, n’était pas totalement d’accord avec cela. Remuant les bras en l’air, elle continuait de se remuer au son de la musique. Quant à Andrew, il avait bien du mal à se concentrer sur le concert, alors que la jeune fille n’arrêtait pas de bouger sur ses épaules. Et avec la foule de tous côtés qui poussaient et donnaient des petits coups, il n’avait pas trop l’esprit à s’amuser sur le moment. Il tenta une dernière fois de rappeler son amie à la raison. Sans grand succès. Faut dire qu’à 16 ans, il ne faut pas trop en demander aux jeunes. Les adolescents ne cherchent qu’à s’amuser, sans vraiment essayer de savoir si leur inconscience peut causer du mal, à soi-même ou autrui. Cette même inconscience qui fait également leur force.

« Hey, Churchill, arrêtes donc de râler et retourne fumer ta pipe dans ta tombe ! »

Churchill. Il n’aimait pas quand elle l’appelait comme ça. C’était le signe qu’il se montrait encore un peu trop rabat-joie, et qu’il se mettait à ressembler à un paternel plus qu’à un ami. Pourquoi Churchill ? Elle avait commencé à utiliser ce surnom depuis qu’ils avaient étudié la Seconde Guerre Mondiale en cours d’histoire. Churchill, avec ses tenues d’époque et sa pipe, faisait très « old school ». Très… Vieux et rabat-joie. Andrew grogna, un peu tout seul, ce qui eut pour effet de faire rire Katlyn. « Allez, fais-moi descendre… ». Finalement, elle avait entendu raison. Ils passaient tous leurs temps à se chamailler ces deux-là, mais depuis le temps qu’ils se connaissaient, il était une évidence pour tout le monde qu’ils jouaient plus qu’ils ne se disputaient. D’autant plus qu’ils étaient si différents. Lui était sérieux, travailleur, calme et parfois maniaque. Elle était vivante, intrépide, un vrai moulin à parole. On se demandait même parfois comment elle pouvait réussir à être une aussi bonne élève alors qu’elle passait l’entièreté de son temps à avoir la tête dans les nuages. Tandis que lui devait passer des heures pour assimiler une leçon. Ils se jalousaient secrètement, l’un l’autre. S’échangeant en rêves, inconsciemment, qualités et défauts.

Ils se connaissaient depuis toujours… Une simple amitié tout d’abord. Mais probablement plus que cela par la suite…


Katlyn fut remplie de joie à l’annonce de son nom par le recteur universitaire. Elle attendait ce moment depuis des années, et voilà qu’enfin, elle obtenait ce qu’elle souhaitait. Rares étaient ceux qui savaient ce qu’ils voudraient faire dans la vie. D’autant plus quand ils sont encore jeunes. Mais elle, elle le savait. Et elle venait d’obtenir l’une des plus importantes étapes. Elle avait mis un grand pas dans le monde de la diplomatie internationale, et la géopolitique. Il ne lui restait plus qu’à y mettre les deux, bien dedans. Elle monta les marches de l’estrade, sous les applaudissements de ses camarades et de leurs familles. Attrapant le diplôme que lui tendait le recteur, elle souriait jusqu’aux oreilles d’une joie sincère. Elle jeta un regard vers la foule, apercevant au passage Andrew. Trop joyeuse, elle n’eut lu pas le doute dans son visage.

Plusieurs minutes plus tard, quand tous étaient passés, elle fut enfin libre de ses mouvements. Sa famille, plutôt modeste, vînt la féliciter. Puis vînt le tour d’Andrew. « Bravo Kathy… ». Le ton dans sa voix, quelque peu distant et froid, arrêta net la toute fraichement diplômée. ‘Que se passe-t-il ?’ Fut la première question à laquelle elle pensa. Mais aucun mot ne sortit. Elle avait compris. Elle avait eu son diplôme haut la main. Il n’avait rien eu. Pire encore, ses professeurs n’avaient pas mâché leurs mots à son encontre. Et la famille d’Andrew lui était tombée dessus. ‘Vous comprenez, on ne peut décemment pas accepter qu’une famille avec la position comme la nôtre puisse accepter un tel échec en son sein !’. Cette phrase restera gravée dans la mémoire de Katlyn. Cette même phrase prononcée par la mère d’Andrew, le jour précédent le début des examens. Une telle confiance était… Choquante. Surtout venant d’une mère censée être le pilier de l’amour familial.

Elle aurait voulu le serrer fort dans ses bras, mais des mains fêtardes l’attirèrent ailleurs. La fête avait repris. Andrew haussa les épaules, décrocha un sourire à peine visible, puis repartie. Mains dans les poches.


« Vous pouvez embrasser la mariée, toutes mes félicitations. »

Un long combat venait de prendre fin. Aux anges, Andrew se pencha pour embrasser sa femme, Katlyn. Les deux avaient alors 26 ans pour l’un, et 25 ans pour elle. L’église fut rapidement remplie par le bruit des applaudissements, des rires et des sifflements festifs. Ils coururent main dans la main jusqu’à la sortie, fleurs et bagues à la main. La fête continua plusieurs heures, où les deux mariés au centre des préoccupations, avaient fort à faire avec chaque invité. Mais l’un d’eux ne s’amusait pas vraiment. Andrew était stressé, bien qu’il le dissimule. Katlyn le voyait, mais faisait mine de ne pas avoir remarquée. La famille Petterson était une famille « de la haute ». Non seulement celui-ci bafouait l’honneur familial en ratant ses études de droit. Ensuite, celui-ci avait entreprit un tour du monde, pour finalement revenir et annoncer qu’il arrêtait tout projet d’étude, pour devenir chroniqueur auprès d’un petit journal. Il voulait devenir journaliste, mais sans véritable diplôme validé, il devait commencer tout en bas de l’échelle. Et maintenant, il épousait une « famille sans destin ». Une famille d’ouvriers. Pour les Petterson, c’était la provocation de trop. Ils n’étaient pas venus au mariage.

Cela suffisait à mettre le doute dans l’esprit d’Andrew. D’autant plus que la carrière de Katlyn semblait toute tracée.


Dix ans maintenant. Dix ans qu’ils étaient mariés. Dix ans qu’elle avait commencé à travailler, et qu’elle avait gravit les échelons. Simple stagiaire dans un consulat américain à Londres, puis maintenant consultante aux affaires européennes pour le compte du gouvernement britannique. Elle en avait fait du chemin depuis son enfance. Et quel chemin ! Toutes ces portes poussées, ces critiques sur son milieu d’origine, et railleries. Elle était maintenant bien au-dessus de tout ça. Pourtant, quelque chose semblait entacher le tableau…

« Comment as-tu pu me faire ça ?! »

Lança-t-elle dans un mouvement d’hystérie complète. Et ce ne fut pas la seule chose qu’elle lança. Un vase qui traînait là, à portée de main, vola dans les airs avant de se fracasser contre un mur. « Parle ! ». Elle était en pleure, et tenait dans la main des papiers avec le sceau d’un notaire. Des papiers de divorce. Tout allait pourtant bien jusqu’ici. Ils ne se disputaient que rarement, bien qu’ils commençaient à moins se voir aussi… Andrew semblait choqué. Jamais il ne l’avait vu dans cet état-là, et ne savait plus du tout quoi dire. Il voulait la calmer, lui faire comprendre son geste, mais chaque mot semblait déformé lorsqu’il parlait, ce qui aggravait les choses. « Mais qu’avait-elle de plus que moi cette pouffe ? … Je vais m’assoir dessus avec mon gros ventre, tu vas voir, elle fera moins la maligne la blondasse ! ». Cria-t-elle finalement pour combler le silence pesant de son mari, avec un petit rire ironique pour conclure son sarcasme. Andrew venait de lui révéler une aventure de courte durée avec une inconnue, alors que Katlyn était en voyage. Pour ne rien arranger les choses, il avait fini par céder à la pression de ses parents, et accepter leur offre. Et quelle offre : il devait divorcer, et se marier avec un meilleur « parti » d’une famille plus… « Noble ». Pour Katlyn, s’était une trahison totale. « Je t’ai aidé. Je t’ai réconforté. Je me suis occupée de toi tous ce temps où ta famille n’était pas là. Je… J’ai… C’est ainsi que tu me remercies ? En me jetant comme un petit mouchoir usagé ?! ». Elle était folle de rage, et son esprit avait perdu toute logique. Elle commençait elle-même à ne plus savoir ce qu’elle disait, ou faisait. Un autre objet explosa. Cette fois-ci, s’était une lampe, et la fenêtre n’avait visiblement pas appréciée de la recevoir.

Et plus son mari tentait de la calmer, plus cela l’énervait. Soudainement, elle gémit de douleur, plaça ses mains sur son ventre arrondi, et finit par crier de douleur… Le bébé. Le bébé avait un problème. « Des contractions ? Mais ça ne fait que six mois à peine ! ». Katlyn avait bien trop mal pour renvoyer paître son mari et ses remarques inutiles. Conduite aux urgences, la situation ne s’améliora pas. Le lendemain, elle se réveilla seule dans une chambre d’hôpital. Elle n’était plus enceinte, mais elle n’avait pas d’enfant pour autant.


Katlyn leva les yeux de son bureau. Elle avait cessé d’écrire le rapport qu’elle comptait envoyer au ministre sur la situation internationale, et surtout les cas de pluies de météorites, et ce que les experts de l’union européenne en pensaient. Une secrétaire venait de la déranger, une lettre à la main. « Mais ne soyez pas idiote, posez-ça ici. ». Et sans aucun autre mot, elle reporta son regard sur ce qu’elle écrivait. La secrétaire, encore jeune et probablement intimidée, posa la lettre et sembla disparaître comme une fusée. Katlyn fut à nouveau dérangée par le bruit de l’interphone qui sonnait. « J’avais demandé à ne pas être dérangée, sous aucun prétexte. De quoi s’agit-il ? ». Une voix nerveuse répondit simplement. « Je sais madame mais… ». « Non, visiblement vous ne savez pas. Vous avez peut-être du travail, mais j’en ai aussi. Combien d’autres personnes aimeraient être à notre place ? Pourquoi vous et pas tous ces chômeurs ? ». La secrétaire ne chercha même pas à se justifier plus encore, se contentant d’expliquer la raison de son appel : le ministre des affaires étrangères au téléphone. « Eh bien, il fallait le dire tout de suite voyons ! Passez-le-moi, sur la 2. ». Quelques secondes, et la voilà au téléphone avec le ministre…

Une pluie de météorite venait d’avoir lieu en Europe du Nord. La jeune fille pleine de rêve, gentille et pleine de vie avait laissé place à une femme beaucoup plus dure et mature désormais… L’annonce de la catastrophe ne lui fit ni chaud ni froid.


« Votre nom s’il vous plaît ? ». « Petterson. Katlyn Petterson. ». L’homme chercha un instant, puis il sourit, l’invitant dans une certaine direction. Elle venait de valider son billet de sortie, et quittait définitivement la Terre. Contrairement à beaucoup de monde, elle avait pu sauver sa vie. Et c’était là tout ce qui comptait pour elle. Elle était partie seule, car était seule. Elle ne garda aucune pensée des gens qui l’avaient entourée, que ce soit au travail, ou dans le voisinage. Elle avait beau avoir assez d’argent pour les sauver, au moins ceux qu’elle connaissait, elle n’en vit pas l’utilité, si ce n’est gâcher de l’argent pour des gens sans importance.

Avant d’embarquer au Pegasus, elle avait d’abord fait une escale par le quartier des Habitants Supérieurs. Elle n’était à ce moment-là qu’une passagère parmi d’autres, non une politicienne ou membre d’un gouvernement. Elle avait d’ailleurs un goût amer dans la bouche. Malgré sa position, être obligée d’acheter son billet, sans être invitée. Elle promit intérieurement d’obtenir sa vengeance un jour ou l’autre. Que le gouvernement britannique alors en place finirait par le payer de l’avoir oublié. C’est qu’elle avait une assez grande image d’elle-même…


Lorsque les différents vaisseaux furent assaillis par les émeutiers, elle ne trouva d’autres solutions que se cacher. Elle était parfaitement le genre de personne qu’ils auraient jeté dans l’espace sans même chercher à savoir pourquoi. Et elle y réussit plus ou moins bien, puisqu’elle était toujours en vie quand ce Walsh débarqua de nulle part. C’était l’occasion ou jamais pour Katlyn. Le moment où elle sortirait de la foule pour obtenir ce qu’elle cherchait. Survivre, certes. Vivre, certes. Se venger, certes aussi. Mais ces dernières années, elle n’avait pas caché ses motivations et ses ambitions pour le pouvoir… Cette flotte offrait la possibilité d’acquérir ce pouvoir, et former le monde à sa façon. Dans le même temps commençait à se dévoiler la menace des Changés. Bien qu’ils ne soient pas véritablement une menace, que ce soit officiellement ou officieusement, c’est ainsi qu’elle considérait les choses. On ne survit décemment pas d’une météorite pour ensuite développer des compétences accrues. Ce n’était pas normal. Ils étaient obligés d’être différents, d’avoir une raison d’être qui les rends dès lors dangereux pour le reste, ceux qui ne sont pas inchangés. Mais elle se garda bien de tout commentaire.

Elle était discrète, depuis son arrivée dans la flotte. Mais les élections, et la mise en place d’un gouvernement dans la flotte changea la donne. Ils recrutaient du monde, pour mettre en place une sorte d’administration pour tout réguler. Et alors que les procès allaient bon train, elle obtint de quoi satisfaire ses besoins. Elle déménagea sur le Pegasus, la proximité avec la foule lui faisait peur, et ce vaisseau lui permettait de vivre déjà plus confortablement. Le sentiment de sécurité lui étant primordial. Elle avait réussi, en poussant quelques portes et en faisant cracher quelques promesses de soutien à d’anciens contacts plus ou moins liés au gouvernement auquel elle était autrefois rattachée, à devenir assistante du nouveau Coordinateur élu. La branche Civile venait d’être attribuée à un autre, il lui restait néanmoins le choix entre la branche juridique et santé. Finalement, on lui attribua le domaine Juridique, préférant probablement donner le secteur Santé à un connaisseur dans le domaine. L’expérience politique lui étant plus utile pour le Juridique…