Mon travail du jour est différent de ce que je fais d’habitude. Normalement je suis dans mon laboratoire avec une multitude d’autres scientifiques et de la technologie de pointe en train de chercher une solution à notre dépense d’oxygène trop grande – on consomme plus qu’on créé. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui j’ai l’immense honneur et plaisir (lisez l’ironie) d’aller dans un plus petit vaisseau de la flotte qu’on surnomme « usine à oxygène » pour y effectuer des tests. On ne peut pas forcer l’humain à consommer moins d’oxygène (enfin on peut mais on préfère chercher une solution autre part) alors pourquoi ne pas booster la capacité des plantes à faire de la photosynthèse ? Plus facile à dire qu’à faire d’où les tests que je vais effectuer aujourd’hui.

Je travaillais pour Icare et autant dire que nous sommes assez mal vus depuis la guerre civile. Je les comprends et à vrai dire je les supportes totalement, même si je fais la distinction entre les employés et Icare en elle-même, si j'avais eu un quelconque pouvoir de décision sur Icare alors j'aurais fait en sorte qu'il ne préconise pas la destruction des navettes. Mais j'ai d'autres choses à penser notamment de trouver une solution à nos problèmes – en commençant par l’oxygène. J’ai bien peur que la flotte se risque à une mesure extrême si les réserves d’oxygène baissent trop, j’ai déjà entendu quelques personnes parlaient de tuer des gens pour économiser le précieux dioxygène.
Habillée d’une robe comme à mon habitude, ma blouse blanche par-dessus, et ma paire de talons (oui, je sais que c’est une mauvaise idée vu où je vais), je porte un sac rempli de tout ce dont j’ai besoin pour ma journée de travail. Je me dirige vers les embarcations tout en me demandant qui va m’accompagner. Soit on m’accompagne pour ma sécurité soit pour s’assurer que je ne vais pas tout faire exploser parce que je suis d’Icare. Je privilégie la première proposition, mon optimiste et ma naïveté sûrement.

« Bonjour, je suis le docteur Spencer. » je me présente avec un sourire, tendant ma main libre au soldat inconnu. Docteur … j’ai encore bien du mal à m’y habituer pourtant ça fait déjà un an que j’ai mon doctorat et donc que je suis un docteur. Docteur mais pas médecin, j’en connais autant en médecine que le citoyen lambda. Bon peut être un peu plus parce que je suis une spécialiste en biochimie et que je connais celle du corps humain. « Vous êtes le soldat qui m’accompagne, c’est bien ça ? »

Contrairement aux idées reçues, une mission d'escorte ne se préparait pas d'un simple claquement de doigts. La présence d'un militaire tendait toujours à échauffer les foules, sur Terre comme ici, dans un autre monde, un autre lieu. Prestige de l'uniforme, tu parles...  Si des escadrons étaient formés pour principalement des missions de ce type, ce n'était pas pour rien. Le mieux était encore de ne pas donner une armoire à glace en treillis en guise de chien de garde aux personnes à protéger. Le plus souvent, ça excitait plus qu'autre chose et pas dans le sens le plus sensuel du terme. Pensez plutôt à un bout de bidoche près d'un chenil affamé...

Jason avait une carrure de soldat : épaules développées, abdominaux, dos qui semble indestructible mais en réalité douille beaucoup.... Néanmoins il n'avait pas non plus l'étiquette « Rambo » au front comme d'autres, regard dur, front féroce, torse bombé et coupe en brosse. Et puis surtout, l'homme pouvait faire peur, inquiéter. Pour peu qu'il y mette du sien (c'est à dire ne fasse aucun effort en restant dans son mutisme quotidien), les gens faisaient un pas en arrière sans rien demander de plus. Bref, parfait pour escorter un scientifique avec le mauvais défaut d'être Icare.  

Une manière aussi de tester le terrain pour lui, de voir si finalement, après la guerre civile et son rôle dans la gens militia, on allait résister à l'envie de le déchiqueter vif. Mine de rien, ça avait son importance.

La jeune femme qui se présenta devant lui donna simplement envie à Jason de tourner les talons et retourner se coucher. Protéger les gens au péril de sa vie, oui ok bien sûr qu'il avait signé mais... Mais il y avait des règles !
Dans l'armée, il n'était pas rare d'être misogyne. Les quelques collègues féminins de Jason ne s'étaient jamais plaintes de lui pour autant, niveau blagues grasses et mauvaises farces pouvant tourner au harcèlement il y avait largement pire. Il acceptait de travailler avec des femmes, ne remettait pas leurs efforts en question et lorsque d'autres soldats pouvaient se montrer un peu trop pressant, Jason savait également faire barrage. Tous les soldats n'étaient pas des ordures, tout comme Jason n'était pas l'unique exemple de « chevalier blanc ». Il y avait eu Richard bien sûr, et d'autres noms plus anonymes, fraternels jusqu'au bout au point d'eux mêmes subir des brimades pour refuser d'opprimer les femmes. Selon les compagnies, il y avait eu plus ou moins de sanctions, personne n'était parfait...

Ici, dans la flotte, le rôle des femmes restait encore à définir de manière correcte. Certaines d'entre elles continuaient d'être soldats, un choix courageux. Il y avait des scientifiques, des mécanos, des médecins, bref une certaine diversité. Il y en avait d'autre également prête à se sacrifier pour « le plus vieux métier du monde », de quoi calmer les ardeurs des plus échauffés. Une certaine forme de réglementation s'installait donc pour elles, cependant comme dans une zone en guerre ou à risques, brouiller les frontières seraient trop dangereux. Il claqua les talons lorsque la jeune femme se présenta, fit un salut militaire puisque répondre à sa poignée de mains aurait été par trop civile, et la regarda droit dans les yeux.

 « Capitaine Knight, c'est exact miss je serai votre escorte pour aujourd'hui afin de garantir votre sécurité. Par conséquent je vais demander de changer de tenue et d'en porter une bien plus adaptée à votre sécurité. En cas de refus, je me décharge de la mission... »

Une robe, il n'en fallait pas plus comme invitation pour beaucoup. Ca plus le fait que des hauts talons étaient peu adaptés sur le grillage métallique constituant parfois le pavement. Une femme en talon paraît menaçante pour beaucoup et attire de ce fait bien plus l'attention de manière négative.

 « La zone est encore trop sensible. »

Sa silhouette bloquait l'accès à la navette avec la force de l'habitude. Peu lui importait si la jeune femme refusait, se mettait à tempêter ou à hurler. Il ne faisait pas cela par simple plaisir mais agissait comme on le lui avait appris et selon les règles données afin d'assurer à Olivia un semblant de sécurité.

Je n’ai pas l’habitude de côtoyer des soldats. Je ne connais pas leur mentalité si ce n’est celle montrée dans les films que j’ai eu l’occasion de regarder alors que j’étais encore sur Terre. Je sais très bien pourquoi j’ai le droit à une escorte aujourd’hui. Je suis dans la flotte grâce à Icare et donc une très large partie de la population a certainement envie de m’égorger, comme si j’étais l’incarnation de tout ce qui allait mal dans la flotte. J’ai cessé de supporter mon ancien employeur le moment où la destruction des navettes a été mise sur le tableau. D’un point de vue strictement scientifique et calculateur, c’est une solution tout à fait justifiable mais je suis un être humain et non un ordinateur, mon cœur a toujours été contre cette solution et je suis bien contente qu’Icare ait perdu cette bataille – la guerre même. Tout ça pour dire, je suis innocente et on ne devrait pas me détester pour ça – autant apprendre à me connaître avant de me détester. Ou pas, je préfère avoir le moins d’ennemi possible.

La situation des femmes dans la flotte est … comme sur Terre en fait mais tout est tellement plus petit que c’est concentré. Je refuse de changer qui je suis et les machos et autres misogynes peuvent bien aller se faire foutre. Je n’ai rien entre les jambes mais j’en ai bien plus dans la tête qu’eux. Je crois que je remplis toutes les conditions pour une escorte. Une femme ? Yep, je suis ‘’faible’’ donc je risque d’être attaqué (bon je leur accorde ce point, je ne sais pas me battre. Icare ? Oui, donc je risque de me faire attaquer sans aucune raison. Scientifique ? Ca rejoint le côté femme comme quoi je ne sais pas me battre. Mais ma mission est littéralement vitale. Le projet sur lequel je suis est vital, on a tous besoin d’oxygène pour vivre et nos réserves ne tiendront jamais à ce rythme là.

Je suis étonnée par la salutation du soldat. Claquer ses talons, le salut militaire et rien que sa façon d’être ne me sont absolument pas familière. Et ça commence fort. Pour faire simple, il affirme que je m’habille comme une allumeuse (et encore j’ai bien un autre mot en tête) et qu’il refuse de m’accompagner si je suis habillée comme ça. On commence vraiment mal. « Ma robe est parfaitement adaptée pour ma sécurité. Ce n’est pas parce que je n’ai pas de pantalon que je ne peux pas courir. Et si les hommes ont un tel contrôle sur eux, que je porte une robe ou un pantalon ne change rien. Mais je veux bien changer ma paire de talons pour des chaussures plates. » Commencer par dire non pour ensuite finir sur la bonne note du coup il restera sur l’impression que je suis d’accord avec lui, c’est mon plan et j’espère que la pratique fonctionne aussi bien que la théorie. Et je ne lui ai pas rappelée que j’ai ma blouse sur moi, ce qui cache ma robe, je préfère garder un argument au cas où il refuserait. « Et vous pouvez me tutoyer capitaine. Et m’appeler Olivia. Ou Liv. »

La plupart des gens possédait cette idée reçue malheureuse que tout ordre donné devait être contredit ou refusé. Jason se rappelait fort bien de discussions plus ou moins poussées avec Richard sur la nature de l'ordre et du chaos, eux qui devaient savoir gérer les deux à la fois de par leur métier. Pas de chaos sans ordre, pas d'ordre sans chaos. Bien des règlements existaient ou avaient existé dans le simple but de n'être non plus défié, mais transcendé, seulement il n'appartenait pas à tout le monde d'en posséder le droit.
Une personne refusant les ordres était une personne refusant d'être protégée. Très tôt les militaires s'étaient mis d'accord sur ce fait, en particulier dans un microcosme comme celui-ci où tout possédait un équilibre précaire. Ils refusaient donc de risquer leur vie pour de telles personnes, incapable de suivre la moindre règle de sécurité.

….Que croyait cette femme ? Que dans une flotte regroupant presque toutes les nationalités et un nombre assez élevé de croyances et d'état d'esprit on était prêt à traiter les femmes comme les égales des hommes alors même que sur Terre tous les pays en étaient resté incapables ? Si Jason lui avait demandé de se changer, c'était pour son propre bien à elle. Lui même se foutait bien des questions de garde robe,cependant les questions de pouvoirs ici appartenaient tout autant à la politique, qu'au sexe. Les hommes croyaient dominer les femmes avec le leur, et celles ci apprenaient à manipuler simplement en écartant les cuisses en attendant de retrouver une autre place mieux déterminée.

Sur Terre, Jason en avait vu des femmes opprimées. Celles perdues sous leurs voiles de tristesse, cachée de tout, y compris du soleil et de cette moitié de ciel que pourtant le Coran leur attribuait. Il se souvenait aussi des grandes métropoles américaines et de ces biches aux jambes longilignes fières de porter des minijupes, convaincues de pouvoir faire ce qu'elles voulaient de leur corps mais qui une fois la nuit tombée s'enfermaient dans de grands manteaux et pressaient le pas. Jamais l'humanité n'avait aidé une femme à se sentir complètement libre, peu importe le pays ou le niveau social....

Le soldat se détourna de la jeune femme pour rejoindre un collègue un peu plus loin. Qu'elle fasse le voyage seule si elle le désirait, avec sa psychologie de comptoir et ce monde qu'elle semblait si bien connaître, à partir du moment où Olivia refusait les règles du jeu Jason sen détournait les mains. Sur Terre, Richard avait essayé de lui expliquer cela par des métaphores simples : de la même manière qu'un chef de chantier pouvait refuser un ouvrier portant un casque, ils devaient eux même vérifier que les civils sous leur garde portaient des tenues adaptées. Cela valait aussi pour les hommes évidemment, un journaliste cameraman avait cru une fois pouvoir se ramener torse nu et en tong pour un tournage dans un petit village calme. Jusqu'à ce qu'il enfile une chemise et des tennis, l'accès lui en avait été refusé par les gars.

Il prit le talkie à sa ceinture, expliqua brièvement la situation par code comme quoi il se défaisait de la mission en raison du comportement de la civile, et attendait désormais un nouvel ordre. Ce n'était pas la première fois que de telles choses arrivaient, notamment avec les anciens d'Icare convaincus de ne devoir se plier à aucunes lois.

Olivia. Liv. Pourquoi aurait-il voulu l'appeler, pourquoi la tutoyer ? Le rôle de Jason n'était pas de faire la causette, ce genre de comportement étant considéré à hauts risques puisque cela déconcentrait.

A croire que les gens n'avaient rien dans la tête. Richard lui manquait cruellement dans ce genre de situation, lui qui savait toujours comment réagir et le calmer. De même que Charlie, sachant entendre et écouter tout à la fois...